Une caissière de Tourcoing, qui a été victime le 21 ou le 22 novembre d'une fausse couche sur son lieu de travail, affirme avoir été empêchée de quitter régulièrement son poste alors qu'elle vivait une grossesse à risque. La direction d'Auchan évoque, elle, une "série d'incompréhensions mutuelles".
"Je me lève de mon siège et je vois que mon fauteuil est plein de sang. Je porte un pantalon noir mais ça se voit quand même". L'histoire que Fadila*, 23 ans, a confié à L'Express fait froid dans le dos. Cette caissière d'un Auchan City de Tourcoing (Nord) accuse la chaîne de supermarchés de "manquements répétés" à son égard.
Dans une lettre adressée le 20 décembre à ses supérieurs, publiéesur Twitter par la CGT, la jeune femme demande à la chaîne de supermarchés de reconnaître que la fausse couche qu'elle a subie à trois mois de grossesse, tandis qu'elle était à son poste, relève bien d'un accident du travail.
Son calvaire aurait débuté au début du mois de novembre. Fadila commence alors son contrat de professionnalisation de six mois comme hôtesse de caisse. Prise très vite de "malaises persistants", la jeune femme découvre qu'elle est enceinte de deux mois.
Pas de pauses toilettes
"Le médecin m'a dit qu'il fallait faire attention, parce que j'ai déjà fait une fausse couche", explique-t-elle. Mais ses horaires "sont très chargés": 20 minutes de pause pour sept heures de travail, à prendre en une seule fois. "Je demande donc à ma responsable s'il est possible d'obtenir quelques aménagements de planning et si elle peut m'accorder, de temps en temps, la possibilité d'aller aux toilettes: j'avais très souvent envie de vomir", poursuit-elle.
A sa stupéfaction, Fadila se voit opposer un refus net. "Ma cheffe m'a répondu que si elle m'accordait la possibilité d'aller aux toilettes, alors elle devrait le faire pour tout le monde", reprend-elle. La jeune femme honore donc son planning, mais son état de santé se dégrade. Ses nausées sont telles que, empêchée de quitter mon poste, "j'étais obligée de ravaler mon vomis", relate-t-elle.
"J'ai ressenti d'intenses douleurs"
Pour Fadila, c'est précisément cela qui lui a fait le plus de mal. "Quand je rentrais chez moi, je ne faisais que vomir ce que j'avais garder la journée. Je ne mangeais rien et des fois, il n'y avait rien à vomir. J'en avais des maux de ventre". Dans ces conditions, Fadila tient une semaine et fini par se faire arrêter une semaine par son médecin.
Elle revient travailler le 21 novembre et, dit-elle, découvre son nouveau planning, "assez lourd". Elle prévient qu'elle doit se rendre régulièrement aux toilettes. "Vers 15 heures, j'ai ressenti d'intenses douleurs", nous raconte-t-elle. Selon son récit , elle contacte alors sa responsable mais celle-ci lui rétorque qu'elle est "occupée". Fadila patiente jusqu'à sa pause, 1h35 plus tard, pour pouvoir aller aux toilettes. Puis reprend son poste.
L'état de Fadila ne s'améliore pas et clients comme collègues lui font part de leurs inquiétudes en voyant son visage se décomposer. "J'ai continué mon travail, avec toujours plus de clients, et au bord de la perte de conscience. C'est comme si quelqu'un me coupait le ventre avec un couteau", glisse-t-elle.
"Mon sang ne cessait de s'écouler"
Vers 20h15, la jeune femme découvre que son siège est plein de sang. Lorsque les pompiers arrivent, la "première chose qu'ils me demandent, c'est si j'ai pu me rendre aux toilettes. Je leur répond que je suis à mon poste depuis 17 heures", se remémore-t-elle, encore émue. Sa pression est très basse. Les pompiers lui intiment l'ordre d'aller aux toilettes. "C'est là qu'un pompier a mis des gants et a récupéré le foetus, dans la cuvette", confie-t-elle.
A ce drame humain s'ajoute un fort sentiment "d'indifférence", aux yeux de Fadila. Alors qu'elle est hospitalisée, elle assure qu'aucun supérieur n'a pris contact avec elle. Après une nuit, c'est elle qui les appelle. "La seule chose qu'on me demande, c'est un justificatif, parce que je suis partie tôt de mon poste la veille. Puis on me demande si je reprend le travail le lendemain", s'offusque-t-elle, soufflée par ce "manque manifeste de compassion". Pire, Fadila découvre qu'une semaine ne lui a pas été payée, "à cause d'un problème de badge".
La direction d'Auchan dénonce "une instrumentalisation"
Sollicitée par L'Express, la direction d'Auchan s'est dite "très attristée par cet événement", évoquant un "enchaînement malencontreux des faits" combiné à une série "d'incompréhensions mutuelles". "Au sein du magasin, il n'y avait pas une compréhension généralisée de la spécificité de l'état [de Fadila], sans doute parce qu'elle ne l'a pas exprimé de manière suffisamment précise", explique-t-on.
La direction affirme que la jeune n'a femme n'aurait "jamais fait de demande d'aménagements d'horaires de travail", ni même de "demande spécifique pour les pauses toilette". "Quand un salarié a besoin d'aller aux toilettes, il peut le faire sans entrave, dans des délais très brefs", jure-t-on.
A propos de la semaine manquante sur la fiche de paie, la direction d'Auchan assure que la situation a été régularisée. Entre outre, "le dossier d'accident du travail a été traité. Tout cela suit son cours tout à fait normalement", ajoute-t-on, s'indignant d'une "instrumentalisation des faits par une organisation syndicale". La direction précise que la salariée sera reçue par les ressources humaines.
Insuffisant, estiment Fadila et les syndicats. Lors d'une conférence de presse ce lundi, ils ont demandé au Comité d'hygiène et de sécurité de l'entreprise (CHSCT) de diligenter une enquête. Une plainte devrait être déposée dans la foulée.
La CGT a rappelé par ailleurs que c'est dans ce même supermarché qu'une caissière avait été licenciée en juillet pour, selon le syndicat,"un préjudice de 85 centimes". Elle avait finalement été réintégrée après un mouvement social.
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